Enjeux géostratégiques : une guerre pour l'hégémonie impériale
Jan Myrdal

 

J’écoute la radio, le président Bush parle. Il visite une base militaire et s’adresse aux soldats. Il explique que les États-Unis sont en guerre contre le mal. Les soldats l’ovationnent. Le Président leur dit que cette guerre sera longue. Mais il leur promet, que le terrorisme sera liquidé dans le monde entier. On croit entendre un prédicateur.

Tony Blair ne veut pas être en retard. Je le vois à la télévision. Il parle d’ennemis, de terroristes : des méchants. Ils doivent être exterminés. Même dans mon pays, le premier ministre suédois, s’alignant sur la Sainte Alliance, parle avec emphase de la lutte pour la civilisation. Les bombes sont nécessaires à la victoire des bons.

Je retrouve là le verbiage va-t-en-guerre de 14-18 sur lequel je travaille actuellement, car il s’agit d’une vraie guerre, d’une guerre qui, elle aussi, sera longue. 

Mais évoquer les attentats du 11 septembre contre le World Trade Center et le Pentagone comme est évoqué l’attentat  du 28 juin 1914 contre l’archiduc François Ferdinand à Sarajevo en en faisant la cause de la Première guerre mondiale est erroné.

Ces attentats peuvent être considérés comme les déclencheurs d’une nouvelle phase dans la lutte pour de vieux intérêts. Mais ce qui différencie l’attentat de 1914, c’est qu’il avait un objectif précis et des causes connues, alors que celui de 2001 est entouré d’opacité. Qui est ou qui sont les responsables ? nous ne le savons pas ; aucune preuve tangible n’a été apportée et s’il s’agit du réseau d’Osama bin Laden, un constat s’impose : la « main noire » qui a agi en 1914 n’avait jamais eu le moindre contact avec les services secrets autrichiens alors que le groupe d’Osama bin Laden est né avec l’appui des Etats-Unis et de la CIA avec lesquels il a étroitement collaboré.

En disant ceci je ne dis pas que l’attaque contre le World Trade Center est une provocation planifiée comme le fut l’attaque contre la radio de Gleiwitz le 31 août 1939 par les services secrets allemands déguisés en « polonais ». Je pense plutôt que l’attitude de la CIA s’apparente à celle de Churchill quand, en novembre 1941, il a eu connaissance en clair du message crypté de l’amiral Yamamoto donnant l’ordre à la flotte de préparer une attaque contre Pearl-Harbor. Cette attitude, que les politiciens britanniques ont appelé « wise and masterly inactivity » / une « sage et magistrale inactivité » pour garantir la sécurité de l’empire. Agissant ainsi, les Etats-Unis allaient s’engager dans la guerre malgré les courants isolationnistes.

Il appartiendra aux historiens d’éclaircir les évènements de l’automne 2001, comme il en fut pour ceux de 1914 et 1941. En attendant, nous devons répondre à la question que se posaient les juges romains : « cui bono ». Dans l’intérêt de qui ?

Aujourd’hui comme alors, la guerre à ses causes géopolitiques et ses raisons économiques : expansionnisme colonial, lutte pour des sphères d’influence, mainmise sur les matières premières Les prêches officiels en 2001 rejoignent ceux de 1914. Nous retrouvons les pacifistes d’alors, nos amis et camarades politiciens socialistes et démocrates ou des journalistes (y compris communistes ou écologistes) transformés en avocats enragés de la guerre. Néanmoins ces guerres se différencient.

Depuis 1828, la Russie et la Grande-Bretagne se sont affrontées dans cette zone de l’Asie centrale et l’Afghanistan y fut un terrain majeur du « grand jeu » qui les a opposé. Après la chute de l’Empire britannique, les Etats-Unis entrent en scène et s’allient avec les chefferies du sud de l’Afghanistan et, quand Moscou veut étendre sa domination dans la région, ils accordent une aide militaire et économique massive à tous ceux qui combattent les troupes soviétiques, dont Bin Laden.

Mais, dans le cours de la guerre froide, l’Union Soviétique, du fait de ses contradictions internes, se désagrège, elle perd la guerre en Afghanistan et aujourd’hui, la Russie économiquement à terre, est revenue à une situation comparable à ces temps de misère où les nobliaux allemands, les barons baltes, les pans polonais, les mercenaires féodaux suédois s’enrichissaient à ses dépens.

Cette faiblesse permet aux Etats-Unis d’exploiter les attentats contre le World Trade Center et, sous le couvert de guerre « contre le terrorisme », de mettre pied dans ce qui était traditionnellement une zone d’influence russe, et d’y installer des bases militaires là où, pendant plus de 100 ans, les Britanniques n’y sont jamais parvenus.

Cela n’est pas tout. Que leurs motifs soient bons ou mauvais, les Etats-Unis ne sont pas un gendarme international innocent. Ils ont besoin d’anticiper sur le tarissement de leurs sources de pétrole et de préserver leur hégémonie économique et militaire en confortant leur pouvoir sur les zones pétrolières d’Asie centrale et du Moyen-Orient. Ce dessein conduit également leur politique contre l’Irak - qui très vite sera l’objet d’une nouvelle agression américaine – avec le même objectif qu’en Afghanistan, y installer des bases militaires.

Mais combien de temps cette fenêtre restera-t-elle ouverte pour les Etats-Unis ? quelles possibilités ont-ils de mener à terme leur politique et de défendre leur position hégémonique ? La Chine, s’appuyant sur les ressources de la diaspora, a une économie en expansion et représente une menace militaire potentielle. Les difficultés économiques du Japon sont temporaires et même sur notre continent, certaines logiques remontant à la « nouvelle Europe » annoncée il y a une soixantaine d’années pourraient faire leur chemin et susciter des ambitions.

Surtout, il ne faut jamais sous-estimer les peuples – ni même, les états - des zones où les Etats-Unis puisent les matières premières. Leur volonté de ne plus être dépendants exacerbe les contradictions et il sera impossible aux Etats-Unis, sans guerre et sans interventions militaires, de maintenir leur contrôle sur les ressources pétrolières.

Depuis plusieurs décennies, les préparatifs de guerre sont couverts du masque idéologique d’une confrontation culturelle entre « l’ouest », représentant la modernité, la civilisation, et « l’Islam ». Ceci a contribué à développer une haine de l’étranger qui imprègne l’Europe et – comme il en fut de l’antisémitisme avec Hitler – cette haine permet de rallier des milieux populaires à une politique de guerre.

Aujourd’hui, la campagne contre le terrorisme va encore plus avant. Les Etats-Unis doivent obtenir l’appui d’états avec lesquels ils sont en contradiction économique et politique. D’où la nécessité dans ces pays de criminaliser ceux qui s’opposent à leur politique et les mouvements de libération en les qualifiant de terroristes. Ainsi, la guerre de la Russie contre les Tchétchènes devient une contribution à la guerre universelle contre le terrorisme.

Dans nos pays « développés », les contradictions sont aussi de plus en plus aiguës. Le refus des peuples à ce que nos acquis sociaux soient laminés va s’amplifiant. C’est pour cela qu’il n’est pas accidentel que la police suédoise ait, pour la première fois, tiré contre des manifestants à Göteborg. C’est pourquoi sont mises en place des lois sécuritaires contre ceux qui revendiquent et contre les gens de couleurs.

Formellement il n’est naturellement pas possible à nos gouvernements de nous accuser d’être des terroristes.  Mais nous ne seront pas toujours protégés par nos visages roses. Quand les lois sécuritaires seront en place, que l’exigence de preuves ne sera plus nécessaire, alors ils pourront nous juger et nous condamner.

Ne soyons pas crédules. Je ne connais personne qui il y a quelques années aurait pris au sérieux l’affirmation que les Etats-Unis pourraient créer un tribunal militaire qui jugerait dans le secret, sans exigences de preuves, en niant tout droit de recours et cela de façon universelle. Aujourd’hui ce droit est affirmé.

Ce sera une guerre longue, une âpre guerre.         

 

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