Mensonges et silences sur la
guerre en Irak (15/04/2003) Christian Chesnot - La Tribune de
Genève http://www.tdg.ch Pour le moral de la nation Au cours de très violents combats autour de la ville de Nassiriya, le 23mars, une dizaine de soldats américains sont tués, et neuf sont portés disparus. Au cours d’une spectaculaire opération commando des forces spéciales US dans l’hôpital de la ville, Jessica Lynch est sauvée. "L’état-major n’a, en revanche, pas dit que les neuf prisonniers américains ont été abattus, explique une source militaire. Ils ont été sauvagement mutilés au visage et leurs mains arrachées par leurs geôliers irakiens. Pour ne pas briser le moral de la nation, l’état-major a opté pour la loi du silence: les corps ont été rapatriés aux Etats-Unis et Jessica Lynch est restée très discrète sur cet épisode de la guerre." Quelques jours auparavant, la propagande américaine avait prématurément annoncé la reddition des 8000 hommes de la 51e et division irakienne déployée à Bassora. Elle a réellement eu lieu comme l’avait claironné le commandement US. "Mais au lieu d’incarcérer tous ces soldats, les Américains leur ont demandé de rentrer dans leurs casernes, car ils pensaient que d’autres divisions allaient suivre rapidement, rapporte un diplomate. Informé par ses émissaires, le régime de Bagdad a alors menacé les familles des officiers qui, sous la pression, sont revenus combattre les Américains dans le dos", poursuit cette source. Les Etats-Unis ont sous-estimé les moyens d’influence du pouvoir, mais n’ont pas soufflé mot de ce contretemps. Un tir pas si accidentel L’affaire du bus syrien est un autre exemple de la loi du silence américaine. Le 23mars, cinq Syriens sont tués et dix autres blessés à Routba, dans l’attaque au missile de leur bus parti de Bagdad sur la route de Damas. Le Département d’Etat américain présente alors ses condoléances, qualifiant ce tir "d’accidentel". En réalité, le véhicule venait de la capitale syrienne et roulait vers Bagdad. Selon une source américaine, "le tir fut délibéré car les renseignements américains avaient identifié parmi ces passagers des membres du Hezbollah libanais venus combattre pour soutenir la résistance irakienne". Mais la plus grande énigme de cette guerre restera l’évanouissement des fidèles de Saddam Hussein au cours de la nuit du 8 au 9avril. Pendant le couvre-feu instauré de 18h à 6h du matin à Bagdad, un ordre a été donné aux cadres du régime de cesser le combat et de se disperser dans la nature. Selon un homme d’affaires proche du diwan, "au moins 5000 personnes faisant partie de la crème du régime ont disparu subitement pour entrer en clandestinité". Le lendemain, la CIA confirmait cet ordre de dispersion. Visite surprise à Moscou Qui a donné la consigne? Certainement Saddam Hussein en personne s’il était toujours vivant, la direction du Baas dans le cas contraire. Le lundi précédent, un puissant bombardement avait visé un restaurant du quartier chic de Mansour, où se seraient trouvés Saddam Hussein et ses deux fils, Qoussaï et Oudaï. Depuis, l’incertitude demeure sur le sort des trois hommes. Selon une source irakienne, "seul Oudaï serait mort dans le bombardement; il était caché dans une maison secrète de Mansour qui servait de refuge aux membres du clan". Pourquoi cet ordre à mille lieues de la résistance promise par le régime aux GI pour la bataille de Bagdad? La visite surprise à Moscou de Condoleeza Rice, conseillère à la sécurité de George Bush, a suscité de nombreuses spéculations. Est-elle allée en Russie pour obtenir l’exil de Saddam, les Russes disposant encore de canaux de communication avec le diwan présidentiel? En février, Evguéni Primakov, ancien patron du KGB et ami de longue date de Saddam, s’était rendu à Bagdad pour convaincre le leader irakien de se retirer du pouvoir. Tabou brisé Les Turcs et les Egyptiens s’y étaient auparavant discrètement essayé. Lors du Sommet arabe de Charm Al-Cheikh, les Emirats arabes unis brisent un tabou. Cheikh Zayed offre publiquement à Saddam de s’exiler pour éviter un bain de sang à son peuple. Le numéro un émirati est depuis longtemps un ami personnel de Saddam qui admire chez le leader irakien son courage et sa fierté bédouine. En fait, c’est Barzan, l’un des demi-frères de Saddam, qui a soufflé l’idée à Cheikh Zayed. "Je ne peux pas le faire moi-même, mais si cela vient de vous, il vous écoutera peut-être", explique alors celui qui fut le banquier de Saddam. Quelques jours avant la guerre, Saddam Hussein réunit un conseil de famille, auquel participent, entre autres, ses deux fils Oudaï et Qoussaï, ses trois demi-frères Barzan, Watban, et Sabaoui , son secrétaire particulier Abed Hmoud et son cousin Ali Hassan Al-Majid. Saddam se tourne vers Barzan et l’interroge: "Est-ce vrai que tu as proposé à Cheikh Zayed l’idée de mon exil pour éviter la guerre?" Oui, répond Barzan dans un silence glacial. Marchandage secret ? Doutant de la loyauté de son demi-frère, Saddam le place alors en résidence surveillée au Qasr Al-Farès, un palais présidentiel à côté de l’aéroport. Quand les troupes américaines prennent le contrôle de l’aéroport avant de lancer l’offensive sur Bagdad, Barzan s’enfuit en voiture à Ramadi, dans le "pays sunnite" où il possède une ferme. Il suffira d’une semaine pour que les Américains soient renseignés sur la nouvelle planque du demi-frère de Saddam. Il est visé par un bombardement dans la nuit du 9 au 10avril. On le dit mort, mais une incertitude demeure sur son sort. Quant à Saddam et à ses fidèles les plus recherchés, depuis cette fameuse nuit du 8 au 9avril, personne ne peut dire où ils se cachent. Sans doute au cœur du pays sunnite où ils pourraient encore compter sur des complicités de certaines tribus. "Si d’ici à deux mois, Saddam et ses fidèles ne réapparaissent pas vivants ou morts, l’hypothèse d’un marchandage secret avec les Etats-Unis sera extrêmement plausible", estime un diplomate.
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