Vers un monde policier ? quand l’exception sera devenue la règle, il sera trop tard
Nils Anderson (janvier 2002)

 

 

 

Aux Etats-Unis

 

Selon que vous êtes riche ou pauvre, selon que vous êtes noir ou blanc, l’arbitraire fait depuis longtemps loi dans la justice américaine. Chaque année l’opinion s’émeut d’apprendre que des innocents ont été exécutés. Actuellement, une campagne internationale se poursuit contre les jugements iniques prononcés à l’encontre de Leonard Peltier, un indien, et de Mumia Abu Jamal, un noir.

 

Formellement, les uns et les autres furent pourtant jugés selon les règles du droit américain. Il y a donc toute raison de s’alarmer quand Georges W. Bush introduit un dispositif répressif, allant à l’encontre des règles internationales du droit et portant gravement atteinte aux droits des personnes.

 

LeUSA Patriot Act

 

Le 26 octobre 2001, le Congrès a adopté le USA Patriot Act. qui accorde des pouvoirs exceptionnels à la police, réduit sensiblement le rôle de la défense et représente une mise en question de l’habeas corpus qui, dans la tradition anglo-saxonne, garantit les libertés individuelles.

 

Un seul sénateur, Russel Feingold, s’est opposé à son adoption en déclarant : « En vertu de cette loi, l’État fédéral peut fouiller dans la vie privée de n’importe quel citoyen au motif qu’il a travaillé dans la même entreprise, qu’il habite dans la même rue ou qu’il a voyagé dans le même avion qu’une personne sur laquelle la police mène une enquête. » [1]

 

L’intitulé de l’USA Patriot Act. : Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terroris (unir et renforcer l’Amérique en fournissant les outils appropriés pour déceler et contrer le terrorisme) indique très précisément sa nature et son esprit. Cette loi autorise l’arrestation, la déportation et la mise à l’isolement de suspects. Elle supprime toute délégation judiciaire pour procéder à des perquisitions, à des écoutes téléphoniques ou contrôler le courrier et les communications par internet. 

 

En application de ce dispositif, alors qu’ils étaient initialement 1100, le ministère de la justice a confirmé que 600 suspects restent incarcérés au secret et sans jugement. De plus, John Ashcroft, ministre de la justice, a refusé que soient rendus publics les noms de ces 600 suspects, même auprès des Ambassades des pays dont ils sont ressortissants. Le droit du prince efface celui de la justice.

 

Le ministère de la justice a par ailleurs chargé le FBI d’interroger 5000 personnes originaires du Proche et du Moyen-orient entrées récemment aux Etats-Unis, légalisant ainsi une justice raciste. Certaines autorités locales, c’est leur honneur, ont d’ailleurs refusé l’application de cette décision.

 

Décret sur l’écoute des conversations entre les inculpés et leurs avocats

 

Poussant plus loin la dérive « sécuritaire », par décret-loi, John Ashcroft a autorisé le 2 novembre, sans autorisation judiciaire préalable, l’écoute et l’enregistrement des conversations entre les avocats et les personnes faisant l’objet d’une accusation d’activités terroristes. C’est là une atteinte sans précédent dans un « État de droit », aux droits de la défense.

 

Tribunaux militaires d’exception.

 

Le 13 novembre, le président Bush a signe un décret qui instaure des tribunaux militaires d’exception réservés aux étrangers.  Il n’est pas de circonstance où l’instauration par un État de tribunaux d’exception, civils ou militaires, ne représente une atteinte aux règles de droit de ce pays.

 

On peut rappeler la condamnation à mort et l’exécution en 1953 de Julius et Ethel Rosenberg, jugement politique au terme d’un procès d’exception. David Greenglass, frère d’Ethel Rosenberg, vient de reconnaître, le 5 décembre 2001 sur la chaîne CBS, qu’il avait, pour se protéger lui et sa femme, fait un faux témoignage accusant sa sœur et son beau-frère, les conduisant à la chaise électrique. Les déclarations mensongères de David Greenglass sont connues depuis des années mais le caractère exorciste du procès d’Ethel et Julius Rosenberg interdisait à la justice américaine de reconnaître qu’il s’agissait d’une mascarade judiciaire.

 

Dans le cas des tribunaux militaires d’exception mis en place par le décret du 13 novembre, la mascarade judiciaire laisse la place à une négation de la justice. Selon ce décret, l’inculpé est privé de la présomption d’innocence, il n’a pas le libre choix de son avocat, le procès peut se dérouler à huis clos, le jugement peut être prononcé hors de l’intime conviction de la culpabilité de l’accusé, il n’y a pas d’appel contre la sentence, les condamnations (y compris la peine de mort) seront prononcées par des juges militaires à la majorité des deux tiers et les attendus du procès seront « secret d’État » pendant plusieurs décennies. C’est devant un tel tribunal que Zacarias Moussaoui sera jugé.

 

Enfin, ces tribunaux militaires pourront siéger sur des bateaux de guerre ou dans des bases militaires, la base de Guantanamo par exemple, sur l’île de Cuba, pourrait remplir cet office.

 

Malgré les réactions que suscitent ces dispositions, Bush et Ashcroft s’opposent à toute modification des règles de procédure qu’ils ont décidés, seule la possibilité d’un droit de recours pourrait être introduit.

 

Le droit à la torture.

 

Il est rare qu’un État légalise l’usage de la torture, cependant, on peut s’inquiéter quand dans la presse américaine des articles demandent, l’un de ces articles dans le Los Angeles Times  étant signé par un professeur de droit…, le recours à la torture contre les personnes suspectées de terrorisme, ou, tartufferie « morale », que ces suspects soient remis à la police de pays ou la torture est un moyen coutumier d’interrogatoires !

 

Résister aux atteintes aux droits et libertés démocratiques. 

 

Dénoncer ces faits ne relève pas d’un antiaméricanisme primaire comme certains veulent le faire à croire. Des lois d’exception sont adoptées dans tous les pays européens et dans le reste du monde. Il s’agit en fait d’un engrenage mondialisé.

 

Si les citoyens constituent la principale force de défense des droits individuels, il revient aux parlementaires, aux hommes de droit, aux responsables syndicaux, aux intellectuels de les alerter pour les mobiliser. Mais la peur semble les avoir tétanisés car, sauf de courageuses exceptions, les uns et les autres sont silencieux et le plus souvent ils hurlent avec les loups.

 

La démocratie et la justice sont donnés comme les fondements de l’État de droit. Il est donc très grave que, sous l’influence d’événements aussi tragiques soient-ils, que ces principes puissent être abandonnés, triturés, reniés aussi facilement par ceux qui s’en présentent comme les plus ardents défenseurs lorsqu’il s’agit de dénoncer les totalitarismes. Il est inquiétant que la menace sécuritaire autorise la mise en question des droits de la personne, permette d’attenter à ceux de la défense et de voir les leçons de démocratie données au monde ainsi passées à la poubelle. C’est pourquoi, avant que l’exception devienne la règle, il faut réagir en étant convaincu que ce n’est pas parce que c’est difficile que l’on n’ose pas résister, mais c’est parce que l’on n’ose pas résister que c’est difficile.



[1] Cité dans le Los Angeles Times, traduction Le Courrier International n° 583 du 3 janvier 2002